Films

A Normal Family : critique d’un dîner presque parfait

Par Mathieu Jaborska
11 juin 2025

Paru en 2009, le roman néerlandais Le Dîner de Herman Koch a déjà eu droit à quatre adaptations au cinéma ! La dernière d’entre elle est coréenne. Elle s’intitule Jang Dong-gun. Le menu est différent, mais le goût est plus acide que jamais.

© Diaphana

Pas très normales activités

A priori, ils ont à peu près les mêmes problèmes familiaux que tout le monde : Jae Wan est un avocat peu scrupuleux qui s’est remarié avec une femme bien plus jeune, son frère Jae-gyoo un médecin altruiste qui mène une vie paisible avec son épouse. Les deux couples se retrouvent de temps à autre dans un restaurant huppé pour tailler une bavette, au propre comme au figuré. L’occasion de discuter du boulot (un peu), des gosses (beaucoup) tout en gardant pour eux le mépris qu’ils se vouent parfois.

La première qualité du scénario de Park Joon-seok et Park Eun-kyo (qui avait déjà co-signé le génial Mother de Bong Joon Ho) est de tenir la distance avec ce postulat. Bien que les conventions narratives imposent de vite er à l’élément perturbateur (étape numéro deux d’une histoire classique), les auteurs choisissent de s’attarder sur la situation initiale pour déjà en répertorier toutes les vicissitudes.

A Normal Family
En cas de requête : on bouffe

Armé d’une mise en scène archi-pointue, Hur Jin-ho décortique non sans ironie une cellule familiale bourgeoise faite de petits non-dits et de gros arrangements, quelque part entre les clichés bling bling et la fausse humilité. Les personnages intriguent tout de go, les deux frangins ayant un rapport très différent – en apparence – à la dimension sociale de leur métier. Les comédiens sont à l’avenant, contenant un malaise qu’ils feront exploser dans la deuxième partie du film.

À vrai dire, la satire déployée dans cette première demi-heure est déjà bien assez piquante, soulignant surtout l’hypocrisie qui fait office de ciment relationnel. Mais le cinéaste cherche principalement à nous familiariser avec cette petite troupe presque normale avant de vraiment balancer sur leur table instable son fameux élément perturbateur. Comme le prédisait cette incroyable séquence d’ouverture, à la fois note d’intention et racine du mal, A Normal Family devient véritablement incisif quand la violence bien réelle succède à la violence symbolique.

A Normal Family
En cas de problème, on bouffe

The Kids aren’t alright

Et cette violence, elle va venir, contre toute attente, de leurs enfants. Avec une certaine dextérité, les scénaristes retournent complètement le schéma familial : autrefois symptômes des petits arrangements de leurs parents et du monde dont ils sont censés représenter l’élite, ils deviennent les instruments du chaos et mènent le récit à la baguette. Arrivé au tiers du film, ils font tout voler en éclat, y compris la dynamique et la posture morale de ceux qu’on pensait jusqu’ici être les protagonistes.

L’intrigue bat en brèche les archétypes avec lesquels se débattait déjà largement la petite famille jusqu’ici. Il n’y a plus d’ignobles individualistes d’une part et de bobos solidaires de l’autre. Il n’y a plus que des adultes mis face à leurs responsabilités, face à une brutalité qui a débordé dans leur quotidien bien rangé, auquel ils s’accrochent désespérément à force de… repas. A Normal Family devient dès lors une fable méchante sur l’éducation, sur l’héritage vicieux laissé par des modèles familiaux pourris de l’intérieur et qu’on cherche coûte que coûte à préserver.

A Normal Family
En cas de contretemps, on bouffe

Le film aurait pu s’arrêter là dans cette mise en scène d’un volcan social en éruption, brulant ceux qui attisent son feu, mais il n’hésite pas à pousser la démonstration dans des retranchements assez dérangeants. Grâce à une structure narrative encore une fois assez impressionnante, il rivalise d’ambiguïté pour caractériser ses jeunes personnages, auxquels il ne voudrait pas coller une étiquette. La fin de l’innocence survint lors d’une ultime séquence saisissante, résumant avec une certaine ironie morbide le propos du long-métrage.

Certains n’hésiteront pas à dresser un parallèle avec Adolescence, la série Netflix ayant rencontré un tel succès qu’elle est devenue un enjeu politique à part entière. Plus grinçant, voire sardonique sur les bords, A Normal Family frappe clairement là où ça fait mal sans jamais caricaturer le problème. Et on a bien besoin de ce genre de fictions. Car le roman dont il est adapté est lui-même inspiré d’une histoire vraie…

A Normal Family
Rédacteurs :
Résumé

Un thriller familial super efficace, évoquant avec une certaine virtuosité (et beaucoup de repas) le point de jonction entre la violence symbolique… et la violence bien réelle.

Vous aimerez aussi
Commentaires
Veuillez vous connecter pour commenter
1 Commentaire
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Woking Dead
Woking Dead
il y a 1 jour

L’affiche française de ce film est un copier/coller de celle de Parasite. Cadrage, composition, tout est identique.